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Tiercé et politique : un jeu de hasard

Le dimanche matin, des queues rassemblent plusieurs dizaines de personnes derrière les guichets de certains bistrots, et il suffit de s’y mêler pour comprendre que l’homme du tiercé c’est avant tout l’homme de la foule, c’est- à- dire le peuple.

Tout d’abord, avant de se décider, il a été savamment préparé. Il n’arrive pas au PMU les mains vides et n’est pas un ignorant, car il a été au préalable sollicité par une immense propagande journalistique, radiophonique et télévisée. On lui a d’abord présenté la chose comme une façon simple de gagner de l’argent. Ses amis et son entourage ont surenchéri et amplifié les possibilités. La propagande a été plus subtile, elle s’est faite son complice en lui indiquant comme une confidence, le cheval qui avait le plus de chances d’être vainqueur. Il s’est donc établi au départ entre lui et les pronostics de Paris turf une sorte de communion intime. On lui a indiqué la façon de gagner facilement de l’argent comme s’il s’agissait d’une communication personnelle ; on lui a donné " un tuyau ". Comment résister ? Surtout comment ne pas croire le cheval que l’on vous conseille gagnera la course, puisque le favori est souvent le même, pour tous les journaux spécialisés.

Le malheur est que le favori ne suffit pas pour décrocher le gros lot ; il faut que vous trouviez aussi les deux compères qui le suivront immédiatement sur la ligne d’arrivée. Là encore vous pouvez avoir recours aux journaux qui vous donneront le nom de ces deux fidèles suivants, mais sur ce point les divergences sont souvent sérieuses. On ne peut plus se fier aveuglément aux autres, il faut choisir personnellement, soit le journal, soit les chevaux. Il faut se décider. Peu importe, le premier pas a été franchi. Vous connaissez au moins un favori, alors vous vous risquez à choisir les deux autres, d’autant plus qu’il ne s’agit que de deux noms seulement. Là il faut dire que vos notions élémentaires de mathématique vous encouragent fortement à faire le choix. Devant la complexité et la grandeur des chiffres que l’on a l’habitude de vous présenter sur les journaux et dans la vie courante, le nombre de deux ou trois est ridicule. Si vous abordez sérieusement le problème, vous constatez qu’il n’y a qu’une vingtaine de partants et que les pronostics portent sur une demi douzaine seulement, ce qui , encore une fois, n’est de nature à effrayer personne.

La première démarche de celui qui joue est éminemment sociale, elle le rapprochera des autres. Il ira dans ce lieu public qu’est le bistrot, et se verra aussitôt plongé au milieu d’une masse de gens de sa condition qui, se retrouvant pour les mêmes objectifs l’accueilleront comme un frère. Vous n’êtes plus perdu dans la foule solitaire, vous vous trouvez dans une assemblée d’amis, et on pourrait même croire qu’on vous attendait. En faisant la queue on vous parle sans vous connaître et vous- même êtes surpris d’adresser la parole aux autres sans y réfléchir, spontanément, comme s’il s’agissait d’une chose naturelle, vous délivrant ainsi de votre solitude.

Vous voilà donc transporté dans cette foule anachronique où règne la bonne humeur, entouré d’hommes disposés à vous prêter quoi que ce soit et à vous prendre aussitôt pour copain, entre des femmes qui se veulent un peu masculines et qui manient avec beaucoup de verve le langage des initiés. Vous voilà harnaché de pied en cap des instruments indispensables des turfistes : un carnet de jeu, un stylo à bille, un ou plusieurs journaux.

Cette recherche de l’argent, de la puissance ne sont pas les seuls aspects du tiercé. Il y a un autre aperçu du jeu tout aussi significatif et qui correspond lui aussi à une aspiration de la population. Le tiercé n’est pas un mécanisme implacable comme la loterie nationale ou la roulette, dans lesquels le joueur est absolument livré aux caprices du hasard, c’est- à- dire impuissant. Au contraire, le turfiste est éminemment actif. Non seulement il enfante son jeu. Il travaille à l’élaborer de la même façon qu’un ingénieur prépare ses plans ou un général construit sa victoire. La décision n’est pas le fruit du hasard, mais d’un travail intellectuel préalable et personnel. Il a fallu que le turfiste consulte les journaux, se renseigne sur l’état du terrain, sur la longueur de la course et le handicap des favoris. Il a fallu qu’il se documente sur le nom et les performances du jockey comme sur ceux des patrons des écuries.

Enfin il lui faut assimiler une sérieuse connaissance des chevaux qui participent à la course. Il devra examiner leur pedigree en remontant le long des arbres généalogiques, connaître leurs performances et leurs qualités ainsi que leurs défauts. Le nombre des facteurs qui déterminent le résultat d’une course est très grand et il faut accomplir un véritable calcul opérationnel ou le simuler, pour aboutir à choisir et à classer les trois premiers chevaux. L’intelligence semble être l’élément déterminant du choix et le gagnant peut toujours prétendre que la récompense est le fruit de son propre mérite. Le turfiste n’est plus le jouet du hasard capricieux, c’est un technicien de la fortune.

Pourtant il y a une autre façon de jouer au tiercé qui consiste à nier la complexité du problème et à faire confiance au hasard et à la chance. Certains jouent depuis des années leur numéro de téléphone, leur date de naissance ou leur contravention, mais la plupart de ceux qui jouent ainsi ne font pas que cela.

Sur un autre registre, dans tout le mécanisme du jeu au tiercé, nous n’avons pu déceler l’intervention de la morale et il semble qu’elle refuse d’intervenir dans le problème comme si le tiercé ne l’intéressait pas. Pourtant, nous avons appris sur les bancs de l’école que les jeux d’argent sont classés parmi les choses à ne pas faire, une sorte de vice, et qu’un honnête homme ne doit pas dépenser son argent, surtout s’il n’en possède pas beaucoup. Comme s’il y avait deux conceptions sur les jeux d’argent : celle qu’on apprend à l’école, et l’autre totalement différente qu’on diffuse à tous les coins de la rue. D’autres moralistes qui sont farouchement. Ils le considèrent comme un dérivatif à la politique et aux problèmes sociaux.

Tout le monde conviendra que l’attirance du tiercé n’est pas motivée par des raisons financières, car la plupart des joueurs du dimanche sont des perdants. C’est sans doute parce que le tiercé leur donne un espoir, fallacieux bien sûr, mais un espoir qui a ceci de particulier, qu’il est censé être lié à la propre créativité du joueur. L’on devrait se demander si l’attirance vers le tiercé n’est pas due au fait que la politique est justement dépourvue de cette sorte d’espérance.

Tout d’abord il est plus difficile de déterminer son jeu politique qu’une combinaison du tiercé, car si les rubriques hippiques étalent sans honte toutes les données du problème, dès qu’il s’agit de politique les partis, les média n’en dévoilent qu’une partie, si bien que pour être informé objectivement, en supposant qu’il le veuille, l’homme de la rue n’a que des instruments faussés à sa disposition. De sorte qu’il lui faudrait sans cesse rétablir l’équilibre par d’autres informations, toutes aussi partisanes d’ailleurs. De plus les véritables données qui peuvent déterminer une opinion lorsqu’on arrive à les posséder sont d’un tel degré qu’il est impossible de les comprendre sans faire appel à un niveau de culture très élevé, que bien peu d’individus possèdent. Les subtilités constitutionnelles, celles des différents modes de scrutin ou de découpage électoral pour ne citer que celles-là, doivent faire appel à des notions géographiques, économiques, sociales et techniques, tellement complexes, qu’elles échappent au citoyen moyen. L’engagement politique du peuple se fait donc d’une autre façon ; il se contente de faire confiance en restant ignorant des véritables problèmes. Plus il ignore, plus il se désintéresse, et plus sa confiance est fragile. Le jeu politique le dépasse, tandis que le tiercé est à son échelle ; il détermine lui-même sa combinaison en connaissance de cause. Et la couche d’illusion ne se dissipera qu’après la course ou le scrutin. Si l’on gagne c’est grâce à son intelligence, mais si l’on perd, on peut aisément démystifier la course ou le scrutin en prétendant que le résultat était arrangé d’avance

La politique est devenue pour la plupart des gens un jeu de hasard. Ils misent souvent dans l’ignorance la plus complète, s’en remettant aveuglément au destin.

Alors parions sur Zarkava.

Mostafa Melgou



15/07/2009
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