zankana

zankana

Risque de crédit bancaire : 2010, année de toutes les inquiétudes ?

A quelque chose, malheur est bon. En étant encore au stade du " traditional banking ", très peu connecté aux marchés financiers internationaux, ne détenant pas beaucoup d’actifs étrangers, le système bancaire Marocain a pu ipso facto être épargné de l’inoculation des produits toxiques et partant des effets de la crise financière internationale. Mais de là à se complaire à répéter que l’économie nationale est fort résiliente à la récession qui éprouve le monde me paraît relever de l’aller vite en besogne. Car si la crise internationale s’est déclenchée en premier sous forme de krach financier, il n’en reste pas moins que ses effets ont conduit, dans une seconde phase à la récession, qui continue de peser sur l’économie mondiale, avec un recul de sa croissance de 1,4% cette année. Au Maroc la crise en est encore au stade de l’incubation et des premières prémices. C’est dire que le plus difficile est encore à venir " tough time is ahead ".

Nul besoin de prouver, aujourd’hui, que notre économie se porte mal et nos finances éprouvées. La détérioration est générale et les écarts notoires dans tous les agrégats. Le déficit structurel de la balance commerciale se creuse, les principaux produits et services à l’export classés sur les métiers mondiaux du Maroc ont affiché une contre-performance de 23% . Le compte courant, la balance des paiements, le PIB ne sont pas en reste et même le budget de l’Etat, excédentaire en 2008, prévoit un déficit de 4% pour 2010. Ironie du sort. Si aux USA et par ricochet en Europe les symptômes de la crise se sont manifestés d’abord dans les finances qui ont contaminé le tissus économique, chez nous c’est la crise économique qui est en train de fragiliser aujourd’hui le système bancaire, qui est pourtant sorti indemne des effets directs de la crise financière mondiale. Quid de sa situation aujourd’hui ? Mais brossons, en préambule l’évolution des encours globaux de crédits bancaires, pour en mesurer l’ampleur avec focus sur le LOB (line of business) qui a été le plus gros consommateur ou ogre de crédits. Si le total des crédits à fin juin 2009 n’a enregistré qu’une évolution de 15,7% par rapport au même mois de l’année écoulée, en revanche l’exposition bancaire sur la promotion immobilière- je dis bien la promotion immobilière qu’il faut distinguer des crédits à l’habitat- a crû de 35,3% pour porter les encours à Mad 60 bln. De plus, cette même promotion immobilière –speculative grade- a été orientée haut standing, commerces et demande étrangère pour les ryad et les kasbah. Or, sur fond de crise, aujourd’hui, la demande étrangère est sapée, les ventes sur le haut standing sont gelées, nonobstant les décotes sur les prix de vente qui peuvent atteindre les 25%. S’installe donc une mévente qui risque de durer longtemps. Or le financement de la promotion immobilière relevant du " project finance ", les encours de crédits ne peuvent être apurés que par le produit des ventes. La conséquence coule de source. Pas de vente immobilière, pas de remboursement des crédits y afférents. La situation aujourd’hui est telle que banques et promoteurs sont dans l’expectative, attendant Godot qui n’arrivera pas de sitôt. Le " grace period " et les différés arrivant à expiration, les portions exigibles des crédits immobiliers ont commencé d’ores et déjà à tarauder aussi bien les banquiers qui réclament les remboursements que les promoteurs qui n'ont pas de quoi honorer leurs engagements, pour cause de mévente. Et l’année 2010 – dans deux mois- ce sera le start up des " tombées " des échéances exigibles. Le risque de défaut pointe d’ores et déjà du nez. La panacée, faute de mieux, consiste pour les promoteurs à se lancer dans la fuite en avant, à force de demande de moratoires et de rééchelonnements des échéances brûlantes, si ce n’est pas tout le plan d’amortissement qui est à revoir pour en repousser les échéances à plus tard.

2010 sera pour les banques l’année de toutes les inquiétudes, compte tenu d’une part du niveau d’exposition des banques sur la promotion immobilière ( Mad 60 bln ) et de la forte probabilité du défaut dans un marché qui s’est le plus ressenti de la récession. C’est dire l’ampleur des créances en souffrances qui vont naître, avec leurs lots de dotations aux provisions qui ne manqueront pas de plomber lourdement les " P&L " des banques. Dotations aux provisions nettes de reprises qui ont doublé à juin 09 pour atteindre Mad 1,5 bln, absorbant 17% du RBE ( résultat brut d’exploitation) contre 9,5% un an auparavant. D’autant plus inquiétant que les banques traînent déjà un back log de créances en souffrance brutes pas moins de Mad 29,8 bln ( à fin juin 09), dont le net représente 11% des fonds propres comptables des banques. D’autant plus grave encore si l’on prête attention à la situation de tassement ou de stagnation dans la récupération par le système bancaire des créances en souffrances ces deux dernières années. C’est dire que le taux de 5,5% des créances en souffrance par rapport aux encours bancaires bruts tel qu’il ressort à fin juin 09 représente selon toute vraisemblance un taux de déchet définitif et irréversible de créances compromises que les banques seront tenues tôt ou tard à purement et simplement rayer de leurs actifs, comme étant des pertes sèches.

Au bug de la promotion immobilière qui guette le système bancaire, s’ajoute en cette fin d’année 2009 un " hurricane Katrina " financier. Il engloutit quelques Mad 1,2 bln- sans compter, le cas échéant, les engagements en crédit bail, cautions fournisseurs et factoring- représentant l’exposition de quelques banques sur un groupe admis brusquement, presque subrepticement en redressement judiciaire. L’impact sera très lourd de conséquence sur le " P& L " des banques impliquées dans le financement de ce groupe, dès lors qu’elles seront tenues de faire des dotations aux provisions pour créances en souffrance pour au moins 50% des encours engagés, compte non tenu des gages éventuels. D’autant plus douloureux quand une telle exposition douteuse est sur une seule contrepartie (client). Il est inutile de rappeler les effets induits ou effets collatéraux désastreux qu’entraînera cette déconfiture en amont et en aval sur les fournisseurs locaux de biens et de services, notamment sur les sous-traitants.

La question qui se pose est comment un groupe d’une telle envergure puisse en arriver à cette situation de défaut ? L’autre question, non moins importante, est comment les banques impliquées aient pu s’engager sur de tels montants sur une seule contrepartie, dont le profil risque s’est avéré a posteriori " sub-standard " et hypersensible aux retournements de conjonctures? Où en étaient les tests de résistance des prévisions financières aux situations dégradées de " worse case " ou du " likely case ". Où en étaient les " clignotants " d’alerte et les " observatoires " de risque chez les banques engagées ? Et le dossier tomba subitement ! ! L’on frise là, aux meilleures de hypothèses, le crédit fautif. Beaucoup de zones d’ombres sont à élucider sur ce dossier qui suscite, le moins que l’on puisse dire, beaucoup de curiosité. D’autant que les raisons du défaut avancées par les uns et les autres ne sont pas convaincantes. Un audit des comptes s’impose, avant de se prononcer sur les chances de redressement du groupe défaillant. Dans les annales de la profession bancaire, un client en redressement judiciaire est plutôt enclin à se diriger vers la liquidation judiciaire que vers la normalisation. De même que l’expérience a prouvé que la " notoriété " du débiteur s’est toujours révélée être un élément restrictif dans l’analyse objective du risque de crédit, surtout dans un environnement légal comme le nôtre. N’est-il pas vain espoir que d’attaquer en justice un ex-ministre, un ex-parlementaire ou un ex-wali, de surcroît pour un recouvrement d’une dette ?

Alléluia !

                                                                                   Mostafa Melgou



10/11/2009
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 25 autres membres