zankana

zankana

Les débiteurs en redressement judiciaire ne défient-ils pas les banques ?

Un mauvais usage de la procédure du redressement judiciaire ne risque- t-il pas d’offrir une échappatoire légale aux dirigeants de l’entreprise défaillante? ne risque-t-il pas de nuire aux intérêts des créanciers, notamment les banques? L’objectif de cette chronique est de faire la lumière sur certaines imprécisions du code de commerce Marocain quant à la définition du vocable " difficulté " de l’entreprise et celui du " redressement judiciaire ".

Le redressement judiciaire fait partie de la panoplie des procédures de traitement des difficultés de l’entreprise, telles qu’elles sont reprises par le code de commerce Marocain (CCM). Ce dernier définit l’entreprise en difficulté comme étant " …toute société commerciale, qui n’est pas en mesure de payer à l’échéance ses dettes exigibles… " (Art.560). Cet article tel qu’il est énoncé demeure très général et partant très exposé à maintes interprétations de la notion de défaut, en l’assimilant systématiquement à une atteinte à la pérennité de l’entreprise . Car dans la réalité, le fait pour l’entreprise de ne pas honorer ses dettes échues n’est pas systématiquement un élément de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. L’Article 561 n’est pas non plus exempt d’imprécision dès lors qu’il ne définit pas ce qu’est la cessation de paiement ? Le même article participe d’une confusion entre le défaut de paiement (de dettes exigibles), qui est circonscrit dans le temps et la cessation des paiements qui est de portée générale, dès lors que l’actif disponible n’arrive plus à couvrir le passif dû. Le troisième article qui mérite aussi d’être revu est celui relatif à la définition du redressement judiciaire. En vertu de l’Art.568, " le redressement judiciaire est prononcé s’il apparaît que la situation de l’entreprise n’est pas irrémédiablement compromise. A défaut, la liquidation judiciaire est prononcée.. ". La définition pèche ici par le fait que le redressement judiciaire est défini non pour et par ce qu’il est, tant il est défini par négation donc par déduction de ce qu’il n’est pas. Une telle définition pose un problème de tracé des clivages et des frontières entre ce qui est remédiable de ce qui ne l’est pas.

Je ne divulgue pas ici un secret. Le code de commerce Marocain s’est largement inspiré de son homologue, le code de commerce Français. Néanmoins, pour ce qui est du traitement des difficultés de l’entreprise, le code Marocain s’est mal inspiré, à force d’amputations qui ont fini par rendre la procédure du redressement judiciaire étriquée et rébarbative. Que dit en substance le code de commerce Français sur le chapitre de la prévention des difficultés des entreprises ? l’Art L611-1- Français- précise " Toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés…peut adhérer à un groupement de prévention agréé par arrêté du représentant de l’Etat dans la région…A la diligence du représentant de l’Etat, les administrations compétentes prêtent leur concours aux groupement de prévention agréés. Les services de la Banque de France peuvent également, suivant des modalités prévues par convention, être appelés à formuler des avis sur la situation financières des entreprises adhérentes". Et l’article L611-2 d’ajouter " Lorsqu’il résulte de tout acte, document ou procédure qu’une société commerciale,….connaît des difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, ses dirigeants peuvent être convoqués par le président du tribunal de commerce pour que soient envisagées les mesures propres à redresser la situation ". Quant au chapitre sur l’ouverture et le déroulement du redressement judiciaire, l’Art L631-1 est on ne peut plus clair " Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur…qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements. La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. Elle donne lieu à un plan arrêté par jugement à l’issue d’une période d’observation et le cas échéant, à la constitution de deux comités de créanciers, conformément aux dispositions .. "

En France, le code de commerce prévoit tout un chapitre d’accompagnement légal " environnemental " qui conforte et renforce le modus operandi de la procédure du redressement judiciaire. Il porte sur " la responsabilité pour insuffisance d’actif ". L’Art L651-2 stipule " Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsable….. Les sommes versées par les dirigeants entrent dans le patrimoine du débiteur". Et l’Art.L651-4 de préciser "…le président du tribunal peut charger le juge-commissaire ou, à défaut, un membre de la juridiction qu’il désigne d’obtenir, nonobstant toute disposition législative contraire, communication de tout document ou information sur la situation patrimoniale des dirigeants .. . Les dispositions du présent article sont également applicables aux personnes membres ou associées de la personne morale en procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, lorsqu’elles sont responsables indéfiniment et solidairement de ses dettes".

En résumé, le chapitre de notre code de commerce sur les difficultés de l’entreprise a surtout mis l’accent sur la thérapeutique, au mépris de la prévention. La deuxième lacune de la procédure c’est qu’elle ne fait qu’admettre le constat de la difficulté de l’entreprise ou la cessation des paiements, sans trop se soucier d’en identifier les origines, notamment la mauvaise gestion des dirigeants, pouvant déboucher éventuellement sur une insuffisance d’actif soit pour cause de dépréciation ou de dilapidation. L’on peut citer d’autres écueils non moins préjudiciables aux intérêts des créanciers, mais l’espace d’une chronique ne s’y prête pas. En effet, ne sont pas en reste la publication du nom- parfois mal transcrit ou mal traduit- de l’entreprise en difficulté dans le bulletin officiel ou dans les journaux d’annonces légales ou encore l’information- discrétionnaire et limitative- des créanciers, en passant par l’éligibilité de l’entreprise en difficulté à la procédure du redressement. Une éligibilité qui reste tributaire de l’avis et du bon vouloir d’une personne physique – un expert- au moment où cette éligibilité devrait découler de l’avis de plusieurs instances sur base de constats contradictoires.

Il faut que le législateur veille à ce que la procédure du redressement judiciaire- noble dans ses objectifs- ne se transforme pas en échappatoire offerte au dirigeant incompétent ou de mauvaise foi voire malhonnête qui ruine son entreprise aux fins de son propre enrichissement, en mettant banques et fournisseurs devant le fait accompli du redressement.

Il est à craindre, par ces temps de crise, que le recours abusif à la procédure du redressement judiciaire ne fasse tâche d’huile pour devenir la panacée des entreprises en difficulté dont les dirigeants fautifs voudraient tout simplement esquiver la responsabilité, la leur propre.

Il semble nécessaire aujourd’hui, compte tenu des " casseroles " dans l’air avec effets domino, de consulter, pour plus de mesure, les banques exposées sur les entreprises en difficulté, préalablement à l’inscription et à l’admission de ces dernières en redressement judiciaire.

A bon entendeur…..

                                                                          Mostafa Melgou



24/12/2009
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 25 autres membres