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Les cimenteries, entreprises citoyennes ?

Le mot " citoyenneté " est devenu, entre autres mots magiques, comme une sorte de panacée à tous les maux de la société. L’usage en est très fréquent dans le discours des politiques, de la société civile et des entreprises, sans que ces derniers ne prennent la peine d’en expliquer la teneur ou les implications. Des mots, rien que des mots hissés au rang de recettes magiques.

Le savait-on ? La citoyenneté ( Al Mowatana) est l’aboutissement d’une conscience citoyenne (Al Mawtana) au terme d’un processus du même qualificatif ( Al Mowatania).

Prendre conscience de sa citoyenneté revient à faire un effort, d’abord, de réflexion et ensuite de construction idéelle sur la finalité de la citoyenneté. Le tout , à l’appui d’un référentiel de valeurs, qui en constituera le socle. Après cette étape de représentation intellectuelle du concept de la citoyenneté, interviendra la phase du processus de sa mise en place, qui obéit, elle, à une dynamique politique, économique et sociale.

Lorgnons du côté des cimenteries, car ce sont elles qui font, le plus, montre, d’un engagement notable , dans des actions citoyennes telles que les distributions de cartables aux pauvres écoliers, les distributions de vêtements chauds aux pauvres des contrées Marocaines où l’hiver est rude, font organiser des journées de dépistage du diabète pour les enfants d’écoles, priment des projets qui tiennent compte du développement durable. Toutes ces initiatives des " top four " du ciment au Maroc sont on ne peut plus louables et dénotent d’une solidarité agissante. Néanmoins, tout cela procède plutôt du mécénat et des œuvres charitables. On lui aurait préféré des actions plus entreprenantes qui relèvent du " core business " des cimentiers. En clair, elles sont invitées à faire des efforts sur le prix de vente du ciments, des granulats et du béton prêt à l’emploi (BPE). En plus clair, vœu est formulé que nos cimentiers vendent leur ciment aux coûts de production, sans marge, aux promoteurs du logement social, qui est plus qu’une priorité dans le Maroc d’aujourd’hui. L’on pourrait me rétorquer pourquoi donc les cimentiers?

Les cimentiers, en particulier, d’abord , parce qu’elles bénéficient d’une situation d’oligopole. Et pour cause, les prix de vente qu’ils appliquent ne sont pas assujettis à une véritable concurrence dès lors que l’oligopole se partage le Maroc en chasses gardées, Oriental, Centre et Sud, chaque cimentier faisant la loi dans sa région. Bien entendu le tout se faisant, de concert, avec les autres membres dans le cadre de " gentlemen agreement ". Il suffit de scruter les états financiers publiés par les " Top four ", dont j’apprécie la transparence à sa juste valeur, pour découvrir à quel point les chiffres sont insolents par leur ampleur, en terme de ratios de marges, de résultats nets, de cash flow et de distribution de dividendes. C’est paradoxal, dans un pays qui est encore au stade de la lutte contre l’habitat insalubre et où plus de la moitié des Marocains est mal logée, de surcroît affiche un déficit de 250 000 logements par an, déficit qui ne cesse de se creuser au fil des ans.

La rentabilité commerciale ( Résultat net / Chiffre d’affaires) n’est en moyenne pas inférieure à 25%. Le retour sur actifs ( Return On Asset) n’est pas inférieur à 20%. Ce ratio est obtenu par le rapport Résultat Net / Total actif et renseigne sur ce que rapporte à la cimenterie chaque Dirham dépensé et dans le cas que nous analysons ,soit vingt centimes pour chaque dirham. Le retour sur fonds propres ( Return on Equity ) stricto sensu qui peut avoisiner les 70% et pas moins de 35 à 40% si l’on raisonne par rapport aux fonds propres élargis. Quant aux cash flow que dégagent les cimenteries, ils couvrent la totalité de la variation de leurs besoins en fonds de roulement ou besoins d’exploitation, tellement elles sont en position de force pour fixer des délais clients et fournisseurs à leur avantage. Combien même elles arrivent à satisfaire la totalité de la variation du BFR , il reste toujours du " free cash " aux cimentiers, qu’elles placent dans les valeurs mobilières et autres formules de placement à court terme. Car, les cimentiers tirent le meilleur parti de l’effet de levier

(leverage). Corrélativement, le résultat financier ne peut en être que conforté, les cimentiers engrangeant des produits de placement qui couvrent largement leurs charges d’intérêts sur les crédits d’investissement bancaires qu’elles négocient par la force des choses aux meilleurs taux, sans oublier leur recours de temps en temps à l’épargne publique par le biais des emprunts obligataires.

Last but not least, deux des principales cimenteries ont distribué, en dividendes, pas moins de Mad 324 millions et l’autre, pas moins de Mad 860 millions, au titre de l’exercice écoulé. C’est très révélateur du niveau des plus-values dégagées, pour une industrie qui ne s’accommode pas beaucoup des contraintes écologiques.

Au Maroc, nous avons besoins de gouvernements forts, capables de prendre des décisions politiques sereines, mais courageuses. Et c’est aux mêmes gouvernements de reprendre en charge la politique de l’habitat en général et celle du logement social en particulier. Il leur échoit de faire comprendre aux cimentiers la nécessité de contribuer à l’effort national de lutte contre l’habitat insalubre, car ils en ont les moyens. Combien même ces cimenteries contribueraient à l’effort de promotion du logement social, en renonçant seulement à leurs marges sur les ventes de ciment destiné au logement social, il leur resterait encore du " gras ".

Devrait-on rappeler que le logement insalubre, les bidonvilles font qu’on le veuille ou pas le terreau des délinquants et des désœuvrés qui menacent la sécurité de tout un pays. Entre autres obligations de l’Etat Marocain, sa responsabilité d’assurer des logements décents au citoyen ; attributions qui ne doivent plus demeurer l’apanage de groupes privés, mus essentiellement par le profit.

Qui se souvient de la politique volontariste de logement entreprise dans le Maroc des années 60-70 sous la conduite du ministre de l’Habitat de l’époque, Hassan Zemmouri. Des blocs entiers avaient été construits, s’inspirant de l’expérience Française des Habitations à Loyers Modérés (HLM), des cités intégrées ( Cités Plateaux) avaient été bâties pour le compte des fonctionnaires de l’Etat. Après les années 70, l’Etat Marocain a abandonné cette politique volontariste pour en confier le soin à des promoteurs avides de gain, à des groupes d’affaires sans expertise, mais qui excellent dans la spéculation et l’enrichissement illicite. Le Maroc est entrain de payer aujourd’hui la rançon d’un désengagement de l’Etat que rien ne justifiait.

Le Maroc est aujourd’hui en bute à une ruralisation de ses villes, qui sont de plus en plus assiégées par les bidonvilles et le logement insalubre. Le comble est advenu avec la fusion , dans des groupes privés, des défunts Etablissements Régionaux d’Aménagement et de construction ( ERAC) et de la défunte Agence Nationale de lutte contre l’Habita Insalubre ( ANHI). Une démission totale de l’Etat.

Le mérite du rapport du HCP sur les classes moyennes a été de nous avoir renseigné sur le niveau de vie de 90% Marocains, soit 34% classes modestes, 53% classes moyennes et 13% classes aisées. Par l’empirisme du vécu, le sceptique interpréterait les conclusions du HCP comme suit : 34% de très pauvres ; 25% de pauvres, 28% de classes moyennes, 10% s’accaparant 38% des revenus. Au bout du compte ce sont 57% de Marocains qui ont besoin d’être logés socialement. Le ratio est trop élevé pour le laisser entre les mains de 10% d’entrepreneurs. Gare aux effets induits la fracture sociale. Le Haut Commissaire au Plan a précisé, à juste titre que, " dans un pays pauvre, les classes moyennes ne peuvent être que pauvres ". Mais le HCP ne s’est pas prononcé, ni n’a fait de commentaire sur l’existence d’une classe abusivement et anormalement trop riche dans un pays pauvre.

Le mot de la fin. Force est de reconnaître que les cimenteries ne peuvent jouer le jeu de la contribution à la promotion du logement social, que si elles sont rassurées, quant à la bonne destination du ciment, qu’elles auront facturés au coût de production et que les marges, dont elles auraient renoncés, n’iront pas dans les poches de spéculateurs et d’improvisés promoteurs de l’immobilier social. Le cas échéant, les cimentiers préféreraient les garder dans leurs poches, charité bien ordonnée commençant par soi-même.

Mostafa Melgou

 



29/05/2009
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