zankana

zankana

Le groupe CDG face au défi de la gouvernance

Depuis sa création en 1959, la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG) est pour le Maroc ce qu’est la Caisse des Dépôts et de Consignations ( CDC) pour la France. Elle a été, entre autres institutions Marocaines y compris Bank Al Maghrib ( ex Banque Chérifienne du Maroc), un " butin " de la période coloniale.

A l’instar de son vis à vis Français, la CDG pourrait être définie comme un " groupe public au service de l’intérêt général et du développement économique du pays. Ce groupe remplit des missions d’intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l’Etat et les collectivités locales et peut exercer des activités concurrentielles ". La CDG intervient dans la protection et la transformation en toute sécurité de l’épargne réglementée des Marocains pour financer des priorités d’intérêt général. Elle joue aussi le rôle de banquier du service public de la justice et de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS). Elle gère les régimes de retraite et s’impose en grand investisseur institutionnel de long terme. Les filiales de la CDG exerçant des activités concurrentielles et d’intérêts général, principalement CDG Développement interviennent dans les métiers d’assurance, l’immobilier et les services. Et ce n’est pas exhaustif. C’est dire que la CDG est devenue aujourd’hui un opérateur tout terrain. Ce mastodonte investit, restructure et perfuse, jouant aussi le rôle de bouée de sauvetage à chaque fois que le besoin s’en faisait sentir- cas du CIH, de Papellera de Tetouan et j’en passe et des plus sinistrés.

Quelques chiffrés clés puisés dans les états financiers consolidés 2008 communiqués par la CDG montrent l’ampleur des enjeux pendants. CDG c’est un total bilan de Mad 131,6 milliards ; Côté passif, ce sont des ressources / dettes envers la clientèle de Mad 51,7 milliards ; des ressources / dettes envers les établissements de crédit & assimilés de Mad 26,5 milliards. Côté Emplois, ce sont des " actifs financiers disponibles à la vente " de Mad 32,8 milliards ; des " prêts et créances sur la clientèle " de Mad 30,5 milliards et des placements à échéances de Mad 23,2 milliards. CDG devient de facto une force de frappe et un instrument incontournable de la politique économico-sociale de l’Etat. N’eut été CDG, le Maroc se retrouverait, aujourd’hui démuni de ses ressorts financiers d’antan ( les ex OFS ) et compterait sur les seules banques commerciales, pour le financement de son développement économique.

Cependant et nonobstant la qualité du management actuel de CDG, le citoyen marocain et surtout le contribuable est fondé de nourrir quelques appréhensions, car CDG a beaucoup de défis à relever et son entreprise n’est pas exempte d’écueils, d’autant qu’il s’agit d’actifs de plusieurs dizaines de milliards, dont la qualité reste la garante du devenir de ce fleuron national.

Compte tenu de l’origine des ressources, principalement des fonds privés, dont elle n’est que la dépositaire de confiance_ caisses de retraites, caisses d’épargnes nationales et divers institutionnels_ CDG n’a pas droit à l’erreur dans ses prises de participation ou ses projet d’investissements, car toutes pertes avérées ou latentes ou dépréciations d’actifs, risquent de produire des effets d’entraînement pouvant conduire à la crise systémique. Cette chronique ne se voudrait pas un diagnostic financier, ni une analyse de risque de contrepartie du groupe CDG. Cela procède d’une autre question et d’un autre registre, qui interpellerait le groupe lui-même. Mon propos se limitera à émettre une opinion sur les aspects liés à la surveillance prudentielle des risque, et leur rapport avec le mode de gouvernance au sein du groupe CDG. D’autant que le compte des produits et des charges consolidé (CPC) du groupe au titre de l’exercice 2008 fait état d’un " coût du risque " de Mad 2,9 milliards ayant été en partie à l’origine de la détérioration du résultat d’exploitation. Ce qui préoccupe un peu c’est que les Mad 2,9 milliards représentent une perte sèche, dès lors que cette charge représente un solde net (netting) d’un input de Mad 3,4 milliards en " perte sur créances irrécouvrables " et quelques Mad 0,5 milliard de " reprises de provisions ". C’est dire la grande sensibilité de la CDG à la qualité des risques qu’elle prend. D’autant que le Line of business (LOB) banques et finances représente 78% des actifs du groupe et 47% des ses revenus.

L’on ne peut que louer l’adhésion du groupe CDG au référentiel IFRS ( International financial & reporting standards), pour l’élaboration de ses comptes consolidés et ce pour une meilleure lisibilité financière. Le groupe CDG doit maintenant passer à la vitesse supérieure d’autant qu’il semble afficher une volonté d’intégrer le dispositif Bâle II dans sa gestion des risques. Et justement l’un des piliers majeurs de ce dispositif est la " surveillance prudentielle " des risques qui n’est rien d’autre que l’application du principe sacro-saint du double regard (four eyes policy). Nous le savons, la CDG est placée sous le contrôle et la surveillance de l’Exécutif, nonobstant l’existence d’une commission de surveillance que préside le Gouverneur de Bank Al Maghrib. Mais, in fine, l’on reste dans le seul giron de l’Exécutif. Or chez son vis à vis Français, la Caisse des Dépôts et des Consignations, cette institution financière publique est placée sous l’autorité législative, via une Commission de surveillance, présidée par un député et comprenant dans son " membership " quatre (4) autres parlementaires. Il s’agit d’une instance indépendante comprenant treize (13) membres. Elle exerce particulièrement son contrôle sur les décisions majeures, les orientations stratégiques, les prises de participation, la gestion des fonds d’épargne et la vérification des comptes. En août 2004, la loi de modernisation de l’économie (LME) a renforcé les compétences de la Commission de Surveillance de la CDC, le poids du Parlement en son sein et élargi sa composition. Elle comprend trois députés, deux sénateurs, trois personnalités qualifiées, dont deux nommées par le président de l’Assemblée nationale et une par le président du Sénat ; le Gouverneur de la Banque de France ; le directeur du Trésor et de politique économique et deux représentants de la Cour des Comptes. De par sa composition, la Commission de surveillance de la CDC reflète le souci de l’expertise de ses membres, de même que la recherche de l’équilibre de pouvoir entre l’Exécutif et le Législatif au sein de cette instance. Une fois par an, le président de la commission de surveillance rend compte solennellement au Parlement. Un rapport annuel au Parlement est établi : il fait l’objet d’une approbation par les représentants de la Nation. Outre ses quatre priorités stratégiques d’intervention, à savoir le logement, la PME, l’université et le développement durable, la Caisse des Dépôts a décidé depuis l’année dernière de rendre publiques ses doctrines d’action. Elles décrivent les principes et les règles qui guident ses décisions dans ses principaux domaines d’activité : investissements financiers ; investissements d’intérêt général ; mandats publics. Il s’agit de trois doctrines visant l’amélioration de la lisibilité des actions de la CDC. J’ai focalisé sur la commission de surveillance, puisqu’elle s’inscrit en droite ligne avec la surveillance prudentielle des risques et le renforcement du mode de gouvernance, dont notre CDG a tant besoin aujourd’hui. La CDC Française pourrait aisément servir de valeur d’exemple à la CDG en terme de " best practices ". D’autant plus aisé que la CDG n’est que la version " made in Morocco " de la CDC, dont la naissance remonte à 1816. Puisse CDG parvenir à capitaliser sur le " track record " de son vis à vis et " accoucheuse " la CDC, pour tirer les enseignements qui s’imposent sans avoir elle-même à en payer les frais.

Amen.

Mostafa Melgou

Juillet 2009



11/09/2009
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 25 autres membres