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La laïcité, une controverse politique?

Ce qui distingue le discours arabe contemporain est sa capacité à rapidement intérioriser les concepts idéologiques, tels que libéralisme, socialisme, surréalisme ou structuralisme...etc.

Toutefois un seul concept, auquel il a été conféré une connotation totémique taboue, n’arrive pas à retrouver le chemin de la contextualisation et de l’adaptation en terre musulmane, c’est celui de la laïcité. Et combien même il parvient aujourd’hui à gagner en usage, ce concept demeure alambiqué et sujet à beaucoup d’ambiguïtés, nées d’interprétations étriquées qui l’ont chargé plus qu’il n’en supporte. En effet, les uns traduisent, en arabe, le mot laïcité par ilmaania ", par référence à " Ilm " c’est à dire science, c’est à dire empirisme ou encore raison pratique Kantienne. Les tenants de cette traduction sèment la confusion en opposant laïcité (ilmaania) à foi " Imane ", pour les mettre en situation de conflit. Les autres à court d’imagination, mais néanmoins moins " cyniques ", ont eu recours à une traduction littéralo phonétique de laïcité, en forgeant le mot arabe Laïkia ". Pour élaguer le mot laïcité de ses charges " toxiques ", il est impératif de se référer à sa racine linguistique. L’origine grecque est "Laikos ", celle latine est " Laicus ". Elles renvoient toutes deux non pas à " ilm " mais à "Aalam" ou monde terrestre par opposition au monde céleste et divin. Le correspondant idoine de laïcité en arabe est donc Aalmania " qui renvoie donc au commun des hommes, au bas peuple, aux classes populaires, par opposition aux hommes de l’église organisés en clergé (Klerus), lequel clergé s’étant accaparé en son temps pouvoir et savoir.

Après cette précision d’ordre sémantique, interrogeons-nous sur le périmètre d’action de la laïcité ? D’emblée et sans ambages, ce périmètre ne doit, en aucun cas, dépasser le cadre de l’organisation de la relation de l’Etat à la religion, dans l’objectif de rendre l’Etat indépendant de la religion et vice versa.

En effet, la laÏcité suppose que l’Etat est tout à fait indépendant de toute religiosité et de tous pouvoirs religieux. Elle suppose aussi que toutes les religions sont traitées sur un pied d’égalité dans leur rapport avec l’Etat. Il est évident que cela représente la situation idéale que l’on ne retrouve pas nécessairement dans la réalité des choses, pour la simple raison que l’Etat et la religion se partagent un espace commun, la société humaine. Ainsi, la laïcité parfaite c’est à dire une séparation pleine et entière entre Etat et religion n’existe que dans peu de pays, tels USA, France ou Turquie. D’autres sont semi laïcs telles Allemagne, Belgique et Hollande. L’exemple le plus édifiant et le plus riche en enseignements est celui de l’Angleterre qui n’est pas un Etat laïc mais qui n’est pas non plus un Etat religieux. En effet, en Angleterre l’église Anglicane représente l’institution religieuse officielle du pays, avec au sommet de la pyramide cléricale la Reine d’Angleterre. De plus, le parlement veille à l’organisation de l’église et du culte, le gouvernement prenant en charge la moitié des charges de maintenance de l’église tout en l’exonérant de l’imposition de revenus. Enfin, les évêques Anglicans sont d’office membres du conseil des lords. Mais ce qu’il faut retenir ici c’est que dans tous les pays Européens peu ou prou ou pas du tout laïcs, l’Etat garantit totalement et pleinement la liberté du culte, de même que la liberté de se reconvertir d’une religion à l’autre.

Aujourd’hui la laïcité a entrepris un bond en avant en intégrant dans ses pré-requis, une autre notion, celle de la séparation entre l’Etat et la société civile. Et c’est le nouvel éclairage qu’apporte le politologue Maurice Barbier* à sa théorie de la laïcité. Son architecture idéelle procède du postulat que la laïcité est non seulement une séparation entre Etat et religion, mais aussi une séparation encore plus tranchée entre l’Etat et la société civile. Un Etat qui veille à préserver l’intérêt général et une société civile qui veille à l’intérêt privé de ses membres. Et pour cause, le propre de la modernité politique est justement cette séparation entre Etat et société civile, entre périmètre public et périmètre privé. L’Etat moderne est par définition un Etat qui se distingue, prend ses distances de la société civile, transcende les intérêts particuliers des personnes et des groupes, pour focaliser sur l’intérêt général de la nation. Dès lors qu’un tel Etat existe, la société civile se forme. Et en son sein les individus / particuliers vaquent en toute liberté à la réalisation de leurs propres intérêts.

C’est cette séparation entre l’Etat et la société civile qui permet de distinguer l’homme en tant qu’individu / être de l’homme en tant que citoyen et partant entre droits de l’homme et droits du citoyen. Lesquels ne peuvent naître que dans les pays qui auront achevé leur modernité politique, c’est à dire ceux où la société civile est totalement indépendante de l’Etat, où les clivages entre domaine public et domaine privé sont nets et bien définis. Peu de pays Européens ont opéré et réussi cette " césarienne ", a fortiori les pays du tiers monde qui n’ont pas encore accédé à la modernité politique, ni ne disposent d’une véritable société civile. Allusion est faite ici à tous les pays du pseudo Etat moderne et pseudo société civile. Tous ces pays souffrent à des degrés divers de la confusion entre intérêt général et intérêt particulier. Et dès lors que l’Etat moderne n’est pas, l’intérêt général ipso facto ne peut être. Dans ces Etats du " pseudo ", l’on ne peut aspirer à plus d’un ensemble d’intérêts de personnes, de groupes, de familles ou de clans. Et puisque il y a une confusion entre le domaine public et le domaine privé, la voie est grande ouverte à la corruption et à la malversation à tous les niveaux. L’autre corollaire de cette confusion, est que la citoyenneté au sens véritable du terme ne peut exister, ni n’a de sens la notion de l’Etat de droit, ni in fine celle de démocratie.

La séparation entre l’Etat et la société civile est une condition sine qua non à la laïcité qui, à son tour, sous-tend la séparation de l’Etat de la religion. Ce ne peut se faire que si l’Etat est dans une plénitude telle qu’il n’aura plus besoin pour être légitime de la garantie religieuse. Car l’Etat moderne existe par et pour lui-même sans avoir besoin ni de se servir de la religion ni de son soutien. Il est par conséquent nécessairement laïc. Et la religion, de son côté, est plus libre dans l’Etat laïc qu’ailleurs et y dispose de toute la latitude d’intervenir dans la chose sociale sans immixtion de l’Etat. Le fait que l’Etat n’interfère pas dans la société civile ne signifie pas son indifférence à son égard dès lors qu’il a la charge de veiller à l’intérêt général. Il est du devoir de l’Etat de veiller à la préservation de l’exercice de la liberté, de la même façon que ses distances vis a vis de la religion ne le dispensent pas de garantir la liberté du culte.

Il en résulte que la laïcité est essentiellement un sujet d’ordre politique et non d’ordre religieux comme semblent le croire, le faire croire et le véhiculer d’aucuns. Et l’Islam est justement encore plus concerné, car il tirera plus d’avantages que le christianisme d’un environnement laïc. Et pour cause, le christianisme est, par essence, plus enclin à être réduit à la seule dimension spirituelle, alors que l'Islam est, outre sa dimension spirituelle, de portée à relent social. C’est d’ailleurs la laïcité qui a permis au christianisme de recouvrer sa spiritualité usurpée d’antan par le clergé pour le compte et le privilège de la dimension temporelle.

Bien entendu, il est primordial de rappeler que la laïcité doit se soustraire à tout caractère idéologique pour ne rester qu’une mécanique ou un modus operandi pour organiser la relation entre l’Etat et la religion. A juste titre, Barbier met en garde contre toute sacralisation de la laïcité pour éviter qu’elle ne devienne elle aussi une nouvelle idéologie. En clair, il demande une laïcisation de la laïcité.

* Maurice Barbier ; la laïcité. L’Harmattan, Paris, 1995

                                                                                 Mostafa Melgou



16/11/2009
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