zankana

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Inanité des produits bancaires « halal ».

La problématique. Je ne comprends pas pourquoi, l'on veuille coûte que coûte associer l'Islam, une noble religion, à toutes les sauces. Cela me fait rappeler l'époque de l'ex-URSS et l’ancien bloc de l’Est, où l'on impliquait le camarade Lénine, un leader politique, dans l’explication des théories ayant trait à la physique, la chimie, les mathématiques ou toutes autres sciences. Tout aussi aberrant de constater que certains oulémas veuillent impliquer l’Islam dans l’explication de phénomènes naturels ou de lois purement économiques. Or le coran n’est pas un manuel sur la pensée économique ou sur les mécanismes de la monnaie. De même, l'Islam trans-historique ( par opposition à l’Islam social ou politique) ne se veut pas plus qu’un ensemble de préceptes religieux, qui, devant la certitude de la mort, vise la transcendalité de l'homme, en tempérant, par doses de spiritualité, son animalité, c'est à dire sa dimension temporelle, qui, elle, relève de son instinct. Herbert Marcuse ne nous mettait-il pas en garde contre " l'unidimensionalité " de l'homme ?

Certains exégètes rigoristes du texte religieux voudraient nous faire croire que l’Islam " est la solution ", à tous les maux de société, tels le sous-développement ou la mauvaise gouvernance. Lorsqu’on parle de démocratie, certains oulémas rétorquent que nous avons son équivalent en Islam et c’est la choura ( concertation) et que, dès lors, nous n’avons pas besoin d’importer une quelconque démocratie de l’occident. Or la Choura n’est pas la démocratie telle qu’elle est universellement reconnue aujourd’hui. La Choura, consiste en un avis consultatif que demandait le Khalifat à " As’hab al Hall ou’al Aq’d ", une sorte de nomenklatura de l’époque. Et le Khalifat s’en accommodait en tant que " best practice " de gouvernance de l’époque, sans obligation ni de moyens ni de résultats.

Vouloir aujourd’hui donner la touche " halal " à la bière ou à des produits bancaires revient à " temporaliser " l'Islam qui , lui, est par essence spirituel. C'est réducteur pour une telle noble religion. A chaque fois que l’on parle d’intérêts bancaires, l’on invoque l'usure ( Riba ) qui est prohibée par l'Islam. Certes, mais c'est quoi le Riba ? Etymologie ? Signifié (Al Moufakarou‘ fih) ? Pourquoi a-t-il été interdit ? Et dans quel contexte se posait-il? S'appliquait-il aux banques, qui n'existaient pas à l'époque de notre prophète Mohamed ? Toute une démarche épistémologique.

En bon musulman, je m'astreins aux commandements du Saint Coran ( parole de Dieu ), de même qu'au " Hadith " ( parole de notre prophète ). Mais je ne suis pas tenu de prendre argent comptant tous les " efforts " d’interprétations ( Ijtihad ) de nos différents doctes de l'Islam. Faudrait-il le rappeler, chaque interprétation devant être située dans son contexte spacio- temporel. L’on confond souvent signifiant et signifié dans l’interprétation du texte religieux. Autrement dit l’on ne place pas le texte dans son contexte ni l’on s’enquit sur les raisons et motivations (Asbab An’nouzoul) ayant justifié sa " promulgation ". Le riba avait été interdit en Islam, parce que certains commerçants Qorachi de Makkah et certains juifs de Médine ( Yathrib ) faisaient des " crédits " sur des marchandises ou des prêts financiers, moyennant rétribution par des marges qui défient tout entendement. Cela revient à une sorte d'exploitation de circonstances des démunis (Al Moustad'afoune) par les riches. Moralité. Via la prohibition de l'usure, l'Islam visait la protection des pauvres et en même temps combattre l'enrichissement illicite. L’objectif – c’est à dire le signifié- recherché par la prohibition de l’usure n’est rien d’autre que lutter contre l’exploitation des démunis et l’enrichissement illicite. Par extension, le Riba doit s’apparenter à toutes les situations d’abus de quelque nature que ce soit, abus de pouvoir, abus de confiance, abus sur les ratios de marge…etc. En d’autre terme, le " Mourabi " ou l’usurier c’est quiconque mettra et aura autrui à l’usure.

Faisant fi de tous ces questionnements et pour dévier la problématique du Riba, Bank Al Maghrib autorisa les banques commerciales, depuis 2007, à lancer sur le marché financier des produits " conformes " à la Charia ( Droit Musulman), comme produits " alternatifs " aux crédits bancaires classiques.

Mais c’est quoi au juste ces produits " Halal " ou produits " alternatifs " ? Ils ont pour noms, " Mourabaha "," Ijara "," Moucharaka " et j’en passe. En fait, nous sommes en face de crédits bancaires classiques, qui n’ont d’alternatif que la transcription latine de mots phonétiquement arabes, d’opérations de leasing, de crédit à la consommation ou encore de crédit immobiliers, avec la particularité sémantique d’user du " wording " commission (Amoula) en lieu et place d’intérêt (Fa’ida ) cacophonique à nos hérétiques. Mais dans le cas précis des produits alternatifs, Amoula et Fa’ida sont calculés de la même façon, c’est -à- dire par rapport à un coût de ressource. C’est donc du pareil au même, sauf que l’ego n’est pas caressé de la même manière. Le coût primant sur la piété , les produits halal n’ont pas été, le moins que l’on puisse dire, un succès dans notre pays, car ils sont plus chers que leurs homologues des crédits classiques. Je reste persuadé que ces produits " hybrides " ne pourront en aucun cas réussir dans le contexte bancaire Marocain. Pourquoi ? tout simplement parce que, si les emplois ( les crédits) se veulent " Halal ", les ressources ( les dépôts), elles demeurent " profanes " c’est- à- dire rémunérées en intérêts, notamment les dépôts à terme. Allez comprendre quelque chose à un bilan bancaire claudiquant. Pour que les produits " halal " puissent fonctionner au Maroc, il faudrait que les autorités monétaires agréent que des banques Islamiques s’implantent dans notre pays. Mais ce faisant comporte le risque de déstabiliser le système bancaire actuel, avec en plus tout un travail de refonte de notre système fiscal. Le pourraient-elles ? Il y a beaucoup d’intérêts- de gros- en jeu.

Ceci étant, pourrait-on assimiler l'intérêt à l'usure? La banque, à l’instar de l’entreprise commerciale, réalise un chiffre d’affaire- c’est l’ensemble des intérêts et des commissions perçus. Duquel, il faut défalquer le coût de ressources- le total des intérêts et des commissions versés- pour obtenir le Produit Net Bancaire (PNB), l’équivalent de la marge commerciale chez l’Entreprise. Dès lors l’on est en droit de se demander pourquoi l’on s’acharne à ne voir le Riba que du côté des banques ? Il existe bel et bien ailleurs, dans le commerce et l’industrie qui réalisent des marges " insolentes ", alors que les marges d’intermédiation dans les banques ne cessent de se rétrécir.

Notre problème c’est que nous clamons la modernité, mais en même temps nous nous agrippons à la tradition (at’tourath), que nous n’avons pas encore bien digérée, à cause d’une interprétation exégétique du texte religieux. C’est cette ambivalence dans l’approche, qui représente le gros frein au développement d’une nation.

Pendant que nous y sommes, pourquoi, au lieu de ces produits " halal " mitigés, ne pas carrément créer la banque à 100% citoyenne. Ce sera une banque mutuelle aussi bien du côté " ressources " que du côté " remplois ", c’est à dire une banque qui ni ne prélève ni ne verse d’intérêts. Une sorte d’organe de mutualisation des ressources et des remplois, dont la rémunération ne sera plus construite sur la location de l’argent, mais sur un pourcentage convenu de la richesse réelle ( valeur ajoutée) qu’auront créée les entreprises mutualisées ayant bénéficié du financements de l ‘organe ad hoc. Du côté ressources, il y aura le devoir civique du capital des nantis ( Al Moutrafoune) et du côté remplois, il y aura l’engagement non moins civique du travail des démunis ( Al Moustad’afoune). Une banque qui conciliera et réconciliera le capital et le travail. Ipso facto et dans la foulée on aura combattu le fléau du chômage, qui ne peut être résolu à coups d’expédients. Voici la véritable solidarité ou " takafoul ". Pour ce faire, il faut sortir du schéma de la banque classique. Cela a besoin de beaucoup de créativité et pas moins de patriotisme.

Mais pour l’amour de Dieu cessons de faire l’amalgame entre le versatile et le divin pérenne et surtout ne pas mêler Dieu à la politique et à l’Etat ( Dawla). Car l’Islam est une religion (Dîne) adressée à toute l’humanité (An-nass) croyants et non croyants. C’est donc une religion qui invite les peuples à se connaître mutuellement, donc à s’accepter en tant que différents les uns des autres. D’où cette caractéristique de l’Islam à savoir son universalité dans la différence.

 

                                                                                   Mostafa Melgou



28/08/2009
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