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Economie de l’indigence

Qu’est-ce la croissance économique ? En comptabilité nationale, c’est une grandeur économique qui renvoie à l’agrégat PIB et en comptabilité analytique à la valeur ajoutée. C’est une donnée statistique qui se mesure à l’aune de l’évolution du PIB.

Et qu’est-ce qu’un Produit Intérieur Brut (PIB) ? C’est une moyenne arithmétique, couvrant les performances des agents économiques sur un territoire national, qui peuvent ne pas avoir enregistré tous, les mêmes taux de croissance et dont certains, ils sont légion, n’ont pas affiché de croissance du tout. D’où la nécessité de revoir le mode et la base de calcul du PIB en usant de pondérations sectorielles et d’écarts- type.

Revendiquer un taux de croissance de 6 ou 8 voire 10% n’a aucun sens, pris dans l’absolu, s’il n’est pas placé dans son contexte, en s’interrogeant sur qui a réussi quoi ? Nous sommes interpellés aussi par la finalité de toute croissance, en se demandant à qui profiterait-elle ? Traduirait-elle un mieux être des populations ?

S’intéresser à la seule grandeur mathématique de la croissance, sans l’intégrer dans une équation socio-économique me paraît une approche réductrice, car focalisant sur des îlots de croissance, que l’on brandira, comme preuve de bonnes performances. Une telle démarche risque d’occulter des écarts sociaux qui se creusent chaque jour un peu plus. Une économie qui fonctionne à plusieurs vitesses, consolide les seuls oligarques, fragilise la classe moyenne et prodigue l’indigence aux plus démunis.

Si son fruit n’est pas réalloué équitablement entre les différentes couches sociales, la croissance pourrait être source de malaise social. Car elle ne fait qu’enrichir les riches et enliser les pauvres dans plus de misère.

J’invite à une réflexion sur la problématique du développement qui, elle, est d’ordre qualitatif dont la croissance n’est que l’un des vecteurs. Réussir l’examen de passage pour les gouvernants, n’est-ce pas de réussir à mettre la croissance au service du développement humain ?

Venons-en, maintenant, au diagnostic de l’évolution de la croissance au Maroc. Force est de constater que nous sommes devant une évolution en dents de scie, avec un taux fluctuant, variant en fonction de l’apport de la valeur ajoutée affichée par le secteur agricole, lui même tributaire d’une pluviométrie annuelle au gré des aléas climatiques. Mais si on faisait la rétrospective de notre PIB sur une décennie, l’on se retrouverait avec un taux moyen de croissance se situant dans la maigre fourchette 1,8 à 2,4% l’an. L’enseignement à tirer de ce constat est que notre croissance s’inscrit dans une linéarité de 2% , nonobstant quelques variations, liées à la pluviométrie , mais intervenant néanmoins à l’intérieur de ce trend rectiligne. A partir de ce diagnostic, rien ne laisse présager que la prochaine décennie afficherait les taux de croissance requis pour un véritable décollage économique de nature à créer le plein emploi.

Outre sa modicité en valeur et sa linéarité en terme d’évolution, le PIB Marocain , quant à son layout présente les symptômes d’une économie extravertie et dépendante. En effet, il est un peu paradoxal que dans un pays dont la population compte 45% de ruraux, le secteur agricole n’intervienne que pour 12 à 15% dans la formation du PIB. Il est peut-être temps de remettre la réforme agraire à l’ordre du jour, telle qu’elle avait été conçue, dans les années 60, par le premier et le dernier gouvernement socialiste du Maroc sous la conduite de Abdallah Ibrahim et Abderrahim Bouabid. Ses objectifs demeurent toujours d’actualité, à savoir une distribution équitable des terres récupérées des colons avec mise en valeur agricole, le décloisonnement du monde rural et la fixation des paysans sur leurs terres. Quant à l’apport de l’industrie, il reste figé à 29% sur les cinq dernières années. Or le Maroc a besoin d’une industrie nationale industrialisante et intégrée , avec des effets d’entraînement aussi bien sur le secteur primaire que tertiaire, en tirant le meilleur parti des synergies intersectorielles. Le Maroc ne peut prétendre à un développement durable sans avoir, au préalable, jeté les bases d’une politique d’industrialisation du savoir.

Au delà de la querelle des chiffres sur les taux de croissance effectifs, le problème est ailleurs. Il réside dans la distribution inique du PNB, qui n’est rien d’autre que le PIB avec en plus la valeur ajoutée créée outre-mer . Pour s’en rendre compte, il suffit d’observer, qu’au Maroc, les écarts de revenus peuvent aller jusqu’au rapport multiple de 1 à 20 fois , alors qu’en France, par exemple, il n’est que de 1 à 3,5 fois.

Nous n’avons pas besoin de statistiques, c’est visible à l’œil nu: une pauvreté grandissante, avec des écarts qui se creusent de plus en plus, des centaines de milliers de jeunes diplômés qui viennent chaque année grossir les colonnes des chômeurs.

Et notre paysage économique devrait-on le laisser en reste? Force est de reconnaître que le tissu industrialo-commercial du Maroc est constitué, non compris les offices et les organismes semi-étatiques, à 80% de PME/PMI, de quelques 450 grandes entreprises, filiales de multinationales et plus ou moins une centaine de groupes locaux véritablement structurés, en terme de gestion, de transparence et de communication financière. Pour bon nombre du reste, nous sommes en face d'entreprises " vaches à lait ", d'administrateurs qui confondent patrimoine de leurs entreprises et le leur propre. Il s’agit en fait d’entreprises familiales, nonobstant l'apparat juridique de SA ou S.A.R.L.

La triste expérience de la " Marocanisation " des années 1970 en dit long sur les gabegies des repreneurs " nationaux "- qui étaient-ils ? et la débâcle d'entreprises jadis florissantes. Le choix d’un autre extrémisme de gestion du patrimoine économique national, à savoir les privatisations et les concessions est tout aussi raté que le premier et n’a pas non plus fait avancer le Maroc sur la voie du progrès économique. Le Maroc semble aujourd’hui exposé à une rapine internationale, ayant bradé les actifs de toute une nation à des filiales de multinationales. Preuve en est le montant des dividendes distribués au titre de l’exercice 2008, par les sociétés affiliées à des groupes étrangers, opérant au Maroc. La presse nationale a rapporté qu’il y aurait cette année une remontée de dividendes aux maison - mères respectives à partir des filiales Maroc pour un total de Mad 7 milliards , dont 5 pour un seul groupe . Et en devises s’il vous plait. Je suis un adepte de l’ouverture du Maroc aux investissements étrangers. Mais il faut que cette ouverture s’inscrive dans le cadre d’une relation " win win ". Il est évident que chaque investisseur a droit à des dividendes, en rémunération de son capital. En revanche c’est inadmissible lorsque ces dividendes sont transférés en devises , sans possibilité de reconstitution dès lors que les revenus (chiffre d’affaires) de la filiale qui les a versés, sont libellés en Dirhams, sa base clientèle étant locale. La conséquence coule de source- une détérioration des réserves de change Marocaines et une fragilisation de notre monnaie. On pourrait digérer la pilule des transferts de dividendes en devises si au moins les filiales de groupe étrangers opérant au Maroc réalisaient leurs chiffres d’affaires à l’export, permettant ainsi des entrées de devises et in fine la reconstitution de nos réserves de change. D’ailleurs, la crainte d’assèchement de liquidité sur le marché bancaire est fondée, dès lors que chaque sortie de devises, surtout lorsqu’elle chiffrée en plusieurs millions d’Euro ( 650 mln) se traduit par un " moins " de pouvoir de création de la monnaie locale.

Voici les véritables sujets de débats qui doivent interpeller la classe politique Marocaine.

Il ne semble pas que ces préoccupations de fond aient été soulevées lors des précédentes campagnes électorales. J’espère que les partis politiques s’y attellent lors des prochaines.

Il est à craindre que le Maroc ne soit en train de s’installer progressivement dans une économie qui ne prodigue que de la misère et du désespoir. Tout est à revoir, le sujet économique en premier. L’élite Marocaine a besoin d’un débat de fond, structurant, au lieu du débat sur l’accessoire qui prévaut actuellement. Comme si c’était fait à dessein pour nous faire perdre dans les méandres de l’insignifiant.

Mostafa Melgou



04/05/2009
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