zankana

zankana

Du crédit de notoriété au crédit de mérite ?

Cette chronique est motivée par la recrudescence des créances en souffrance et, effet induit, une augmentation des dotations aux provisions qui continuent de peser sur les P&L (profit & loss statement) des banques. En effet, l’état des soldes de gestion consolidés des banques fait ressortir au 30/06/09 des dotations pour créances en souffrance de Mad 1,8 bln pour un RBE de Mad 8,9 bln, soit un rapport de 20%, d’où une détérioration de 5 pts par rapport à l’exercice écoulé. Bien entendu ces statistiques arrêtées au premier semestre 2009 n’intègrent pas les créances en souffrance sur le groupe Legler admis, au dernier trimestre 2009, en redressement judiciaire pour la bagatelle, au bas mot, de Mad 1,3 bln. Il est à craindre que l’exercice 2009 ne serait clos sur des dotations aux provisions pour créances en souffrance de l’ordre de Mad 4 bln, soit l’équivalent de 25% du RBE consolidé de la profession bancaire. Mes prévisions s’avéreraient optimistes si l’on prenait en considération d’autres entreprises en difficulté cachée " hidden doubtful ". Je fais allusion à ces projets immobiliers et touristiques entamés, mais qui ne peuvent être achevés pour insuffisance de demande, la récession économique n’étant pas près de desserrer. D’autant que l’année 2010 ne présage pas d’une meilleure posture économique que 2009, en l’absence d’une politique gouvernementale digne de ce nom, qui s’éprouve et se prouve pour desserrer l’étau de la crise dans laquelle s’enlise le pays, à l’insu et probablement contre l’avis du gouvernement. Il est de notoriété publique que le gouvernement actuel a pris goût aux effets d’annonce, aux promesses creuses non tenues et à la fuite en avant à coups de reports itératifs de deadlines, dans l’attente de jours meilleurs, au gré de la volonté divine. L’autre caractéristique de ce gouvernement, c’est sa désinvolture inégalée dans la dénégation et la fâcherie des constats accablants sur le recul du Maroc en terme de développement humain et de la détérioration de ses IPC ( Indices de Perception de la Corruption).

Après ce préambule pour situer le contexte, interrogeons-nous sur le crédit de notoriété et sur celui lié au mérite "creditworthiness ", avec un point d’étymologie du mot crédit ? D’origine Latine "credere ", le vocable renvoie à la notion de confiance " trustworthiness ". Faire crédit à quelqu’un, c’est le croire, c’est lui faire confiance. Celle-ci consiste au remboursement de ses dettes dans les délais impartis. Or une confiance, elle se mérite. Cependant, ce postulat tellement évident est perdu de vue dès lors que l’instruction d’une demande de crédit focalise sur la notoriété de la contrepartie ( counterparty) au détriment du mérite de l’emprunteur direct ( the borrower). En d’autres termes, la notoriété est invoquée lorsque le crédit est fait sur la base de la réputation d’une famille, consenti sur la " tête " d’une personne et sur son patronyme. L’on fait le crédit parce qu’il y a derrière l’emprunteur, généralement une société ou un groupe de sociétés, le patronyme de " Al Foulane " ou " Al Allane ", qui est généralement l’actionnaire principal. D’autant lorsque la société emprunteuse ne mérite pas le crédit qui lui est fait, au vu de ses performances et de ses états financiers, qui ne sont pas garants d’une bonne issue du crédit. C’est par là que commencent toutes les créances en souffrance qui surviennent. Bien entendu le crédit de notoriété porte sur des noms patronymiques, des familles qui ont pignon sur rue. Lesquels se refusent généralement à donner, en couverture des crédits faits à leurs affaires, ou garanties réelles ou garanties personnelles. Devrait-on le rappeler, l’affaire du CIH qui avait défrayé la chronique en 2000 et qui avait fait l’objet d’une enquête parlementaire, ne portait-elle pas sur des crédits octroyés sur la base de la notoriété , avec son corollaire une grande insuffisance des garanties ?

Il est plus que nécessaire pour le banquier aujourd’hui d’observer la plus grande prudence quand il est en train de traiter avec des noms patronymiques notoirement connus. Car nous savons comment les notoriétés ont été construites dans notre pays. Depuis les années 1970 trente six familles se sont accaparé les deux tiers (2/3) des opérations de la Marocanisation. Feu Hassan II voulait créer une bourgeoisie nationale pour conforter son régime, la bourgeoisie nationale dans tous les pays étant un élément de stabilité, de par sa mission historique de levier et de locomotive de développement économique et social. Hélas, notre pays n’a eu droit, à quelques exceptions près, qu’à une caste de nouveaux riches compradore, spéculateurs et chasseurs d’aubaines (Hmizat). Méfions-nous de la notoriété fallacieuse, d’autant que bon nombre de nos "notoires" ne sont que des prête-noms, que la "main invisible" fait et défait. L’ostentation, le snobisme, les signes extérieurs de richesse ne font pas la notoriété. Celle-ci se construit pierre par pierre par l’accumulation licite du capital, capital mesuré à l’aune d’investissements dans des projets structurants qui se concrétisent, pour créer des entreprises, de la valeur ajoutée et de l’emploi, c’est à dire la richesse d’une nation.

Il est par conséquent nécessaire pour le banquier de revenir sur des principes de base dans la prise de décision du crédit pour faire le distinguo entre crédit de notoriété ( name lending ) et crédit de mérite. La notoriété aux "normes" Marocaines étant ce qu’elle est- élément restrictif pour ma part- on peut bien faire du name lending, mais il ne doit en aucun cas déborder du cadre de crédits privés, portant sur des seuils " d’exposure " tellement bas sur lesquels, au pire des cas, la banque prêteuse pourrait faire l’impasse. En revanche, je considère faute grave, dans le contexte Marocain, l’octroi de crédits en milliards sur la base de la seule notoriété, qui demeure une notion, une perception sociologiques soumises aux aléas. Quant au mérite, il est mesurable sur la base d’un diagnostic exhaustif compta- financier et économico-financier appuyé de notes de conjoncture, d’études sectorielles, d’états financiers et de prévisions de cash flow probants, dont il faut vérifier la résistance aux scénarii dégradés (worse case). Et toute insuffisance financière est à combler par des " securities ", des clauses contractuelles et de covenants financiers. C’est cet amalgame entre notoriété et mérite qui fait le lit au redressement judiciaire.

J’éprouve de la révulsion quand je pense aux dégâts que le groupe Legler en cours de redressement aujourd’hui pourrait faire subir aux " linked " sociétés, aux banques qui doivent provisionner et partant paieront moins d’IS à l’Etat, aux 6000 ouvriers et administratifs au sinistre sort, au transitaire qui sera contraint de fermer, aux AT en douane qui ne seront pas apurées, aux deniers publics du fonds Hassan II qui ont été épuisés, à l’emprunt obligataire ..etc.

Et ce n’est pas fini, car outre Legler, il peut y en avoir d’autres dans le " pipe " des difficultés et partant du redressement judiciaire, en provenance de l’immobilier et de l’Hôtellerie. Le cas échéant et si la procédure du redressement judiciaire n’est pas verrouillée " water tight ", ce sera la crise systémique et adieu la résilience du système bancaire.

Le mot de la fin : Avez-vous entendu parler du principe d’"accountability" si cher aux rédacteurs du cinquantenaire du Maroc possible ? c’est l’occasion de le vérifier. Sinon comment voulez-vous que l’on continue à faire crédit à……to whom it may concern?

                                                                                 Mostafa Melgou



12/01/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 25 autres membres