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Doléances fiscales du patronat : La CGEM peine à sortir des sentiers battus.

C’est devenu un leitmotiv voire comme un rituel. A l’occasion de l’élaboration de chaque loi de finances, la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) dresse à l’endroit du ministre des finances son catalogue de demandes d’exonérations fiscales. Chaque loi de finances ayant son lot d’exonérations fiscales, la LF 2010 n’est pas en reste. Motifs invoqués et objectifs avancés- un autre leitmotiv : Impulser la demande intérieure, booster l’investissement et partant l’économie dans son ensemble. Mais qu’est-ce que demande la CGEM? Principalement, réduire le taux de l’IS à 25% et celui de la TVA à 16%. Accessoirement, pour les besoins de l’appoint et de la surenchère, un crédit d’impôt " R&D " et la mise en place de dispositions fiscales favorables aux restructurations d’entreprises. CGEM peine à sortir des sentiers battus, du déjà vu et déjà entendu, nonobstant l’apparat de son organization chart et de ses commissions ad hoc. Ses doléances sont toujours les mêmes au niveau de l’intutilé mais à des seuils chaque année un peu élevés. Doléances d’autant moins opportunes que les recettes du budget de l’Etat sont en train d’afficher du retrait et les dépenses de l’élan. En effet à Août 09 les rentrées se sont rapetissées de 6% et les sorties se sont rehaussées de 2% par rapport à Août 08. C’est dire qu’il y a une détérioration du budget de l’Etat de 8% par rapport à la même date de l’année écoulée. Quant à la demande d’une réduction d’impôt égale à 30% du montant des dépenses afférentes aux " R&D ", elle me paraît relever plutôt de l’humour noir qu’autre chose. Ce faisant revient à inviter l’Etat à se substituer, en partie, à l’entreprise dans la comptabilité de ses charges. Charges que l’entreprise a la possibilité de répartir et d’amortir sur plusieurs exercices. Charges qui devraient purement et simplement être, et d’une seule traite, imputées au CPC ( comptes des produits et des charges). N’est-ce pas là déjà un cadeau ? De plus, nous connaissons parfaitement la réalité des dépenses engagées par nombre d’entreprises au titre de la rubrique " R & D ". Elles ne débouchent généralement ni sur une " création " d’un produit, ni sur une amélioration d’un produit qui existe, ni sur une amélioration des performances. Elles ne peuvent donc être que des pertes latentes dissimulées dans un bilan sous l’actif fictif de " R&D ". Au vu de la réalité de " R&D " dans notre pays, invoquer ses effets induits sur l’offre exportable ma paraît relever du gag.

Il est regrettable que les doléances du patronat Marocain manquent d’imagination, et dommageable qu’elles restent cantonnées dans le cadre étroit d’une corporation agrippée à ses intérêts égoïstes. Comme si les dérogations consenties par l’Etat les années antérieures n’auraient pas suffi à re-dynamiser l’investissement et tout le bataclan. Faudrait-t-il rappeler que l’Etat avait accordé, en dérogations globales y compris des exonérations totales, pas moins de Mad 26,9 bln au titre de la LF 2008 et Mad 28,7 bln au titre de celle de 2009. Autant de manque à gagner pour le budget de l’Etat, qui est déjà bien éprouvé par les effets de la crise mondiale. Une balance commerciale en déficit chronique qui se creuse ; une balance de paiements chancelante ; des revenus de MRE et tourisme qui s’amenuisent, des avoirs extérieurs réduits à la portion congrue. Autant d’indicateurs macroéconomiques annonciateurs d’une économie dans l’impasse. Et rien ne présage que l’année 2010 sera dans une meilleure posture, tant s’en faut. L’année qui se termine et l’année qui suit, sinon plus loin, ce sera la traversée du désert pour tous les pays du monde et non des moindres. Le Maroc ne peut arguer en faire l’exception.

Le devoir citoyen nous interpelle afin de nous mobiliser, tous, patrons et salariés, gouvernants et gouvernés pour courir à la rescousse de notre Etat, avec à la clé zéro quête de cadeaux fiscaux, zéro évasion de l’imposition, zéro revendication salariale démagogique et populiste, zéro gaspillage des deniers publics. Je dis bien l’Etat et non le pouvoir, car le pouvoir passe mais l’Etat reste. Celui-ci est une donnée objective- un territoire (géographie), une histoire, des populations et des traditions- contrairement à l’opinion largement répandue que l‘ Etat est une entité abstraite.

C’est cet Etat là qui avait décrété la Marocanisation en 1973 pour créer et consolider une bourgeoisie nationale, dans la perspective que celle-ci joue le rôle de locomotive de l’économie nationale. Espoir déçu. Il avait poussé le même Etat à revenir sur la Marocanisation pour se jeter dans la gueule du loup du capital étranger, à coup de privatisations sans discernement. Nous connaissons la suite : Juin 1981 explosèrent une grève générale et des émeutes à Casablanca. S’en suivit une autre année fatidique pour notre pays- 1982/83,ses réserves en devises pulvérisées, le Maroc fut soumis au diktat du FMI et de la Banque Mondiale qui lui imposèrent le programme d’ajustement structurel (PAS) de triste souvenir. Ensuite, ce fut la traversée du désert jusqu’en 1997 où feu Hassan II tira la sonnette d’alarme que le Maroc couvait une " crise cardiaque ". Se forma l’année suivante en 1998 le gouvernement de Maître Abderrahman El Youssoufi, gouvernement appelé par euphémisme gouvernement de l’alternance. Que n’a-t-il fait ce gouvernement pour promouvoir l’entreprise Marocaine ? N’a-t-il pas décrété l’amnistie fiscale, la réévaluation libre et à titre gracieux des bilans, outre d’autres incentives, en vue de la mise à niveau de l’ entreprise Marocaine pour plus de transparence et moins d’évasion fiscale ? l’entreprise avait bénéficié de toutes les libéralités de l’Etat. En retour- on le lui rend mal, à l’Etat- l’opacité persiste et l’évasion fiscale reprend de plus belle. De surcroît, beaucoup avait comploté contre ce gouvernement, les uns sciemment et les autres par niaiserie et sottise. Une expérience éphémère s’il en est.

Entre-temps des oligarchies se formaient et se consolidaient dans l’ombre au détriment d’un pan entier de Marocains vivant de plus en plus dans la précarité. Ces sont ces mêmes oligarchies, dépourvues de tout sentiment citoyen et encore moins national qui ne cessent de demander, aujourd’hui, le " beurre, l’argent du beurre et le sourire de la laitière ". Non seulement elles ne s’acquittent pas, comme il se doit, des impôts dont elles sont redevables envers l’Etat, mais encore elles osent par effronterie demander des cadeaux fiscaux.

Sauf à être amnésique, la CGEM ne doit pas jouer à la dénégation de ce track record peu glorieux de l’entreprise marocaine, pour changer de culture entrepreunariale. Il est temps qu’elle s’inscrive dans le cadre d’une démarche patriote et de vision globale.

Je propose à CGEM des pistes bien plus prometteuses en terme d’économie de charges en lieu et place de ses quêtes à toujours demander des réductions d’impôts, au mépris de la contrainte des équilibres budgétaires des finances publiques. Bien entendu, CGEM a le plein droit de tancer l’Etat pour le parachèvement de l’infrastructure- routière, ferroviaire, maritime terrestre- qui traîne depuis cinquante ans a cause de LF décousue où l’investissement public a toujours été le parent pauvre. CGEM a le droit de demander des comptes sur le bien ou le mal fondé des privatisations entreprises et à venir. Elle a un droit de regard sur la formation du prix du pétrole et de l’énergie. CGEM serait bien dans son rôle si elle demandait à l’Etat de rendre le pétrole libre à l’importation et que cesse le quasi monopole du groupe Corral. Il sied parfaitement à la CGEM de s’impliquer par ses avis et recommandations concernant le régime inique, car injuste, des compensations qui ne profitent qu’aux plus puissants et aux plus riches. Elle a le droit de protester contre les lenteurs administratives, contre le népotisme et la corruption dans l’adjudication des marchés publics.

Il s’agit pour la CGEM de s’impliquer dans la chose publique du pays auquel elle appartient. En d’autres termes, devenir une Confédération citoyenne.

Mostafa Melgou



03/11/2009
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