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Classes moyennes au Maroc : La magie des mots et des chiffres

Un peu d’histoire de sciences sociales. Force est de rappeler que les stratifications sociales ont toujours existé depuis que l’homme s’était sédentarisé autour des activités agricoles et avait établi des rapports sociaux pour organiser la vie en communauté. Les strates se faisaient et se défaisaient au gré des mutations sociales connues. Ainsi naquirent les hiérarchisations sociales, dans le contexte du mode de production pré-capitaliste qui prévalait avant la révolution industrielle. La caste des seigneurs commandaient aux serfs ; les suzerains aux vassaux, ; la noblesse aux roturiers …etc. Néanmoins, ces rapports sociaux s’inscrivaient dans le cadre de relations protecteurs- protégés, le premiers assurant nourriture et hébergement voire mariage aux derniers qui, en contrepartie, le leur rendent bien en affichant loyalisme dans la sujétion et abnégation dans la besogne. Mais, avec l’avènement du mode de production capitaliste née de la révolution industrielle, l’usination des métiers et surtout la contribution des analyses de Karl Marx , apparut la notion de classe sociale. D’un côté il y a la bourgeoisie qui détient le capital et de l’autre les prolétaires, qui n’ont que leur force de travail à vendre . Contrairement à la période pré-capitaliste, la relation entre bourgeoisie et prolétariat s’inscrit dans un schéma de rapports sociaux de production conflictuels, chaque classe se définissant par opposition à l’autre, leurs intérêts respectifs étant contradictoires. Naquit aussi dans ce sillage la notion de lutte de classe appuyée sur une conscience collective prolétaire socialement partagée. Plus proche de nous, la tertiarisation des économies contemporaines et la globalisation ont donné naissance à de nouveaux métiers qui ont conduit à l’émergence de nouvelles strates sociales plus complexes et plus hétérogènes, les clivages n’étant plus aussi tranchés que par le passé. Les USA en sont aujourd’hui au stade d’une " service class " une subdivision ou déclinaison de la " middle class ".

En toute état de cause mon propos n’est pas tellement de retracer la genèse des classes moyennes, mais plutôt d’expliquer l’intérêt politique, soudain, porté à la représentation des classes moyennes. Mais commençons d’abord par nous interroger sur qu’entendons-nous par classes moyennes ? Deux définitions. La première à connotation politique n’a pas changé depuis Marx. Elle se rapporte à la polémique du type de rapport entre le capital et la force- travail dans un schéma d’antagonisme sur la légitimité du contrôle, les revendications salariales et le temps du travail. La deuxième définition d’ordre technique a trait aux composantes des classes moyennes. En vertu de cette définition les classes moyennes comprendraient tous les ménages et les groupes sociaux qui n’appartiennent ni aux classes les plus aisées, ni aux classes les plus démunies. Elles se situeraient en position médiane entre les deux bornes. Il s’agit d’un patchwork comprenant, fonctionnaires, salariés, cadres moyens, professions libérales intermédiaires qui ne font partie ni de la classe dirigeante ni de simples préposés d’exécution. Ainsi naquit aux USA le concept de classes moyennes , au pluriel , dans un contexte globalisé de l’homo economicus, où les pays sont perçus comme des marchés, les citoyens comme des consommateurs et des usagers. Taraudé par la baisse tendancielle du profit, en raison de la cyclicité des récessions, le capital domestique Américain commence à s’interroger, pour découvrir que les classes moyennes se réduisent comme une peau de chagrin, en terme de poids démographique et partant de représentativité, à cause de la détérioration du pouvoir d’achats des revenus intermédiaires et de la mobilité vers le bas des " cols blancs ". Cette dégradation de situation a été comprise comme ayant été le fait des politiques publiques qu’il faut corriger et du déséquilibre de la structure des transferts sociaux et fiscaux qu’il faut redresser. Il faut rappeler ici que la pertinence du concept de classes moyennes et l’intérêt qu’elles suscitent n’a de portée significative que dans le cadre des sociétés POST-IDUSTRIELLES, qui, ipso facto ont vécu des implosions de leurs strates traditionnelles, suite aux forts changements dans les modes de productions et de consommation, ayant entraîné de nouvelles agrégations sociales. Nous sommes loin du concept " la conscience de classe " chère à Marx, mais nous nous dirigeons plutôt vers une acception de classe bâtie sur une hiérarchisation de prestige ou " honneur social " comme le disait Max Weber.

Ce dernier constat m’interpelle quant à l’apport de l’enquête du Haut Commissariat au Plan (HCP) sur les classes moyennes, dès lors que l’objectif recherché n’était que de " cerner le plus objectivement possible, la place de cette catégorie sociale, ni plus ni moins ". Mais force est de reconnaître que la notion de classes moyennes renvoie systématiquement à la problématique des inégalités sociales dont ces classes seraient victimes . Faudrait-il le rappeler ? le même HCP nous avait déjà livré une cartographie de la pauvreté au Maroc. Ce " mapping " exhaustif du niveau de la pauvreté des Marocains et sa répartition géographique sur le territoire national me paraît être un bon document de travail et un bon guide quant aux politiques publiques à entreprendre pour atténuer les effets de la pauvreté et hisser les plus déshérités vers le centre. La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : quel a été le sort du diagnostic établi par le HCP et à quel usage il aurait servi? Quelles ont été, à ce jour, les remèdes apportés par les pouvoirs publics pour endiguer le mal de la pauvreté?

Qu’à cela ne tienne, l’enquête sur les classes moyennes aurait pu apporter un éclairage supplémentaire aux conclusions de la cartographie de la pauvreté. Mais l’enquête suscite plus d’interrogation, qu’elle n’apporte de réponse. Et pour cause, l’approche du HCP n’a retenu que deux critères d’évaluation, les revenus et le niveau de vie tout en surfant sur le critère sociologique d’appréciation à savoir les valeurs et les modes de vie. L’autre écueil réside dans les intervalles de déciles retenus pour évaluer les revenus et les niveaux de vie – 75% de la médiane pour la borne inférieure et 2,5 fois la borne supérieure. Or ces déciles paraissent sont trop étroits pour un pays où les écarts des revenus peuvent atteindre un multiple de 25. Des intervalles plus grands auraient permis d’englober une population plus large (80% par exemple), et auraient mieux renseigné sur les écarts de revenus existants. D’une autre côté, nous restons sur notre faim pour ce qui de la classe aisée qui représenterait 13% de la population. Tout ce qui été dévoilé est que 10% de ce groupe social engrange 38% des revenus sans autre forme de précision. Composition de cette classe ? médiane de ses revenus par personne ou par ménage ? Limite supérieure et limite inférieure? La même observation s’applique à la classe " modeste " qui représente néanmoins 34% de la population. Autant de questionnements fondés.

Plus encore, le HCP a péché par omission, en faisant l’impasse sur des grandeurs de taille qui donnent du sens aux critères de revenus et de niveau de vie. Je fais allusion à la notion de " dépenses contrainte ", c’est à dire le minimum de dépenses requis pour que le Marocain reste dans la normalité humaine qui est l’antithèse de la non-vie ou vie de chien. L’autre allusion renvoie au seuil de pauvreté. Là non plus aucun éclairage n’a été apporté.

Le gag. Je me suis esclaffé de rire lorsque j’ai entendu dire qu’un ministre attendait avec impatience les conclusions de cette enquête et qu’il aurait déjà intégré dans ses actions le projet de logement à 800 000 Mad. Que notre ministre déchante. Car même la borgne supérieure de revenus des classes moyennes, soit 6 736 dirhams, ne peut donner accès à un crédit bancaire au logement, que dans la limite extrême de 300 000 Mad, pourvu, de surcroît, que le postulant au crédit ne traîne pas d’encours de crédit par ailleurs. Ce qui bien entendu n’est d’ailleurs pas le cas des classes moyennes toutes bornes confondues.

Tout ce qui a été apporté par cette enquête c’était purement et simplement une moyenne pondérée, à la discrétion du HCP, des revenus au Maroc. En somme une " moyennisation " de la société Marocaine. Le HCP pourrait mieux faire

Mostafa Melgou



25/05/2009
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